jeudi 19 janvier 2012

Le calvaire de la création



Quand j'engage un garagiste pour qu'il répare ma Jeep, est-ce je lui dis comment poser un diagnostic sur le travail qu'il a à faire sur mon véhicule? Est-ce que je lui dicte les instructions pour changer un joint universel? Et est-ce que je lui rappelle constamment que c'est moi qui paie, donc c'est moi qui décide, remettant constamment en doute la qualité de son travail? Non! J'arrive chez le garagiste, je lui expose le problème et j'ai confiance qu'il répare! Point. C'est sa job!

C'est tout le contraire en création publicitaire.

Les clients ont une problématique. Ils font appel à une firme de publicité pour tenter d'atteindre des objectifs de communication et de marketing. La firme prend le brief et mettra tout en oeuvre pour atteindre les objectifs fixés par le client. Quelques jours, semaines voire mois peuvent être consacrés à une tâche publicitaire. Une fois l'idée trouvée, concrétisée et prête à être livrée avec un appui solide sur des recherches, des théories, des brainstorms, des historiques de communication, un benchmarking efficace et une stratégie béton, on présente devant le client:

Réaction possible: On adore, vous avez fait un excellent travail. On est excités par la suite.
Autre réaction possible: C'est horripilant! On n'aime pas. On va faire ça au lieu. 

Et le calvaire commence: négocations au téléphone, argumentations appuyées sur un processus clair et concis, référents historiques, culturels sensés et riches, crises d'angoisse de la chargée de compte, panique au sein des designers qui recommencent le travail, les stratèges perdus qui ne comprennent plus rien au mandat, qui a d'ailleurs changé huit fois depuis le brief, les résultats des focus group pourtant convainquants qui s'anéantissent devant un je n'aime pas, une remise en question totale de la qualité de notre équipe, couronnée par la phrase qui donnerait même envie à Mère Thérèsa de frapper quelqu'un:

Client: Vous allez faire ce qu'on vous dit. C'est nous qui payons. 
Mère Thérèsa: [Paff!]

Il est clair que le domaine des idées n'a rien à voir avec le travail que ferait un garagiste. Les nuances de la création publicitaire sont subtiles et régies par un ensemble de lois complexes encore méconnues aujourd'hui qui laissent place à une collaboration client-agence. Il est cependant d'autant plus clair que les clients gagneraient parfois à ne pas s'improviser publicitaires en rejetant du revers de la main un travail de plusieurs semaines, effectué la plupart du temps sous la tutelle de directeurs chevronnés.

Exercice à faire en retournant à la maison:
Filtrez les publicités sur votre chemin du retour, et identifiez la plus laide d'entre elles. Le genre de publicité qui utilise la typographie Comic Sans ou Impact avec un dégradé multicolore qu'offrait Microsoft Word comme couleur de remplissage en 1995. C'est un client qui l'a fait lui-même.

dimanche 31 juillet 2011

Comment les publicitaires "scrappent" votre santé



Faucher écrit: « Quand tu seras en train de mourir dans ton lit d'hôpital, tu penseras aux crosseurs [les publicitaires]. Tu serais sans doute déjà mort si y'avaient pas inventé d'histoires. » Sont gentils, les publicitaires, d’inventer des histoires !

La préoccupation générale pour les soins du corps a commencé par l’encouragement à la propreté, un marché qui a été développé par les grands savonniers. Ces entreprises telles que Procter & Gamble ou Unilever sont devenues les multinationales de la chimie. Elles sont également les plus grands annonceurs depuis l’avènement de la publicité moderne au début du 20e siècle.

La plupart des gens recourent à cette chimie pour affiner leurs outils de séduction; c’est le cas des femmes en particulier qui consacrent dans ce but de longues minutes et des sommes importantes chaque année. Ainsi, il se vend environ 600 millions $ de cosmétiques au Canada chaque année.

Il se vend 600 millions $ de cosmétiques au Canada chaque année.

L’hygiène sociale est sans doute un progrès, mais de nos jours, les jeunes n’osent plus toucher une poignée de porte sans penser à se laver les mains et semblent développer moins d’anticorps comme l’indique le nombre grandissant de jeunes qui souffrent d'asthme chronique. Santé-Canada estime que près de 10% des enfants de quatre ans et moins sont atteints de l’asthme. Merci aux publicitaires de Procter & Gamble ou Unilever. Un demi-million de jeunes en souffriraient. Super! Ça déclenchera de nouveaux budgets publicitaires et les jeunes créatifs astucieux « inventeront des histoires » pour des médicaments inefficaces sur lesquels se jetteront les parents.

Dans l’industrie des cosmétiques, 50% du prix de vente sert à payer la publicité. Aussi, l’usage du savon est omniprésent et sous toutes sortes de formes; le crémage n’en finit plus : savonnettes, lotions après rasage, antisudorifiques, crèmes hydratantes, astringentes, émollientes participent d’une énumération sans fin, à tel point qu’une personne qui dégage une odeur de sécrétions naturelles parait, au Québec, sentir mauvais. Et nos égouts retournent toute cette chimie dans nos rivières. Merci aux publicitaires de Procter & Gamble ou Unilever.

Si les Français sont les premiers consommateurs au monde de cosmétiques, les Québécois ne sont pas loin derrière. À tel point que dans les ascenseurs ou même sur la rue, il arrive que les odeurs de toutes ces fragrances sont si prégnantes que ça en devient désagréable. Certains restaurants doivent mettre en garde leurs clients contre ces parfums qui arrivent à infléchir le goût des plats. 

Comme les mafieux, les publicitaires se défendent de vendre cette merde sous prétexte qu’ils entretiennent de « bonnes œuvres » : des campagnes sociales pour l’environnement. Merci aux publicitaires « d’inventer des histoires » !

vendredi 29 juillet 2011

Crisse de Job sale, la publicité


Jeudi passé, le 21 juillet, j'ai douté un instant de la pertinence d'oeuvrer dans le domaine de la publicité. Une discussion avec quelqu'un de mon patelin d'Hull m'a ébranlé. Depuis 2007, je n'avais jamais remis en doute une possible carrière dans le merveilleux monde de la communication (vous pouvez remplacer « merveilleux » par le mot de votre choix ici). Cette personne, qui demeurera inconnue aux fins de cet article, m'a abordé ainsi :

« Heille, crisse de job sale la publicité pareil! En tout cas, c'est loin d'être noble! Tu passes ton temps à essayer de vendre des cochonneries à tout le monde en leur inventant des histoires. Non. C'est pas noble du tout. »

Et moi de le questionner : « Tu crois pas que ça peut être noble, parfois? »

Et lui de répondre : « Nah, vous êtes tous des crosseurs. Voyons, c'est pas nouveau. Nike, Pepsi! Ça exploite le tiers-monde pis vous, vous trouvez le moyen de dissimuler toute ça pour faire mousser les ventes! Niaise-moi pas, tu' l sais que tu crosses le monde, Dom. »

Inutile de mentionner ici la présence d'un verre de Black Velvet dans sa main gauche, qui, sans nécessairement confirmer un état d'ivresse, laissait sous-entendre que l'individu en question avait perdu un peu de sa retenue habituelle. Fier et accoté sur le bar, cigarette aux lèvres avec les yeux plissés par la fumée, il m'a balancé tout ça comme un Yoda convaincu.


Perdu alors dans mes réflexions bousculées, où mes précieuses années d'études s'écroulaient finalement comme si elles n’avaient bel et bien servi à rien, je me suis ravisé. Je lui ai rétorqué, en finissant ma gorgée de Labatt 50 :

« T'as raison. Toi t'as une belle job propre! Mais tu vas finir par vieillir, comme tout le monde. Peut-être que tu vas avoir un cancer du poumon, peut-être que tu vas avoir besoin de sang. Ta famille va peut-être t'abandonner dans un foyer et peut-être même que tu vas avoir besoin qu'on te change les reins. »

Dressé sur son tabouret bistro, soudainement plus alerte, il me demande, les yeux bien ouverts : « Tu veux en venir où, Dom? »

Sans le regarder, en cherchant ma carte de débit, je lui ai répondu très calmement :

« Quand tu seras en train de mourir dans ton lit d'hôpital, tu penseras aux crosseurs qui t'ont convaincu d'arrêter de fumer, qui t'ont trouvé du sang, qui ont rappelé à ta famille de venir te voir et qui ont persuadé les Québécois de signer leur carte de dons d'organes. Tu serais sans doute déjà mort si y'avaient pas inventé d'histoires."

mercredi 13 juillet 2011

Se fier sur les publicitaires?



La question que pose Claude dans son article précédent est pertinente à priori : les entreprises commerciales font-elles de la publicité sociale par véritable solidarité, ou principalement pour redorer leur image? Si on se penche un peu sur les réponses possibles, par contre, on réalise vite que nous n'aurons jamais de réponse claire.

Il en reviendrait au même de demander à un individu qui aide un vieillard à traverser la rue: "Lui viens-tu en aide par bienfaisance, ou pour montrer à tous que tu es bon?" Évidemment, l'individu en question répondrait que c'est pour aider le vieux ; le reste des motifs l'ayant poussé à l'acte pouvant être multiples et difficiles à vérifier.

Comment alors éviter de sombrer dans la foutaise, où les mots "publicité sociale" sont utilisés à toutes les sauces pour faire joli? En se fiant sur les bons publicitaires.

Hubert Sacy, expert de la publicité sociale au Québec.

J'ignorais, avant mon entrée chez Bleublancrouge que l'agence était dirigée en partie par des grands de la publicité sociale. Parmi ceux-ci, Hubert Sacy, chef d'orchestre incontesté de la planification stratégique des clients institutionnels, gouvernementaux et comportementaux. Il a entre autres mis au monde le slogan "La modération a bien meilleur goût" d'Éduc'Alcool et compte à son actif plusieurs dizaines de campagnes sociétales. Inutile ici de les énumérer toutes! Mentionnons seulement qu'il a reçu l'ordre national du Québec pour sa contribution en communication sociale.

Comme Hubert, de nombreux publicitaires dirigent adroitement leurs clients avec des stratégies de changement de comportements efficaces qui tiennent la route. D'ailleurs, ces mêmes publicitaires sont extrêmement sensibles aux manigances de séduction sociétale qui peuvent parfois se glisser dans les demandes clients. Ils sont donc non seulement des stratèges habiles, mais assurent par le fait même la crédibilité des entreprises et des agences.

Évidemment, les mauvais publicitaires et les commandes pseudo-sociales des clients sont là pour rester. Tout comme les journalistes à sensations, les sportifs dopés et les politiciens indécis.

jeudi 26 mai 2011

The Dragonfly Effect



Il est admis que les organisations commerciales ont une responsabilité sociale. Dans le Sommaire de la législation de l’Union européenne (2002), on trouve une définition de la responsabilité sociale des entreprises : « L'intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs coïntéressés ».
La responsabilité sociale des entreprises est particulièrement soulignée par les activités de relations publiques d’une organisation. Maintes entreprises publient de la publicité « de relations publiques » dans lesquelles elles soulignent leur rôle social. Plusieurs le font en mettant de l’avant leur préoccupation pour l‘environnement. Celles qui sont plus susceptibles de subir la critique des citoyens entretiennent une communication assidue avec le public. À titre d’exemple, Rio-Tinto-Alcan publie de belles images de paysages dans lesquels évoluent des enfants qui répètent le slogan « Nous produisons de l’avenir »… et non de l’aluminium ou des déchets.
Seen those BP ads on TV and in the Press? Impressed that the oil giant is getting the message on climate change? Think Again. BP is also running a big advertising campaign in the US to coincide with the Montreal climate talks. Both versions have the same graphics, the same nifty tune, the same style. But where as we Brits are told to “work out your carbon footprint – it’s a start”, the American consumer is told: “We’re investing $15bn in finding new oil and gas in the Gulf of Mexico – it’s a start.” Source: http://www.londonrisingtide.org.uk/node/32 publié 5 mai 2007
Jennifer Aaker et Andy Smith (2010) obtiennent un large succès auprès des entrepreneurs avec leur livre The Dragonfly Effect: Quick, Effective, and Powerful Ways to Use Social Media to Drive Social Change. Ils expliquent qu’il est scientifiquement prouvé que l’on est plus heureux si on est généreux avec les gens : « Si on se servait des médias sociaux, quels changements sociaux ne pourrions-nous pas produire ? […] Ce livre montre que vous n’avez besoin ni d’argent ni de pouvoir pour produire des changements sociaux. » (traduction libre) Ils suggèrent également de marier les affaires avec une cause sociale en proposant aux clients des offres promotionnelles et en promettant en contrepartie de verser un pourcentage de la transaction à une oeuvre charitable. Les auteurs donnent en exemple la marque de vêtements Gap qui lance une promotion bisannuelle dans laquelle ils proposent une remise de 30% sur les achats pour retourner 5% à une cause comme la Leukemia ans Lymphoma Society. N’est-ce pas tout simplement une forme de promotion traditionnelle adaptée au gout du jour?
Plusieurs entreprises se donnent ainsi bonne conscience en élaborant des stratégies de communication visant à redorer ou à renforcer leur image de « bon citoyen responsable ». C’est le cas de nombreuses entreprises, dont le groupe-cible est la jeunesse, qui s’associent à des causes proches de l’écologie, de l’environnement, de la nature, de l’activité physique. Le font-elle par conviction de solidarité ou simplement pour être mieux perçues par leurs clients ? Ou pour faire de meilleures affaires ?

samedi 21 mai 2011

Le social dénature la publicité



Comme d’habitude, Cossette nous sort de longues définitions qui semblent claires et pertinentes à priori! Plus bas, il tente de faire la différence entre la publicité sociale, et celle qui prétend l’être! Cependant, entendons-nous, la ligne qui sépare les deux peut être très fine! Une question s’impose donc naturellement: comment faire pour discerner une publicité sociale d’une publicité qui ne l’est pas? Quand savons-nous si une publicité produit des effets avantageux pour son émetteur? Et qu’y a-t-il de mal qu’un émetteur retire un bénéfice commercial positif d’une publicité sociale, si celle-ci change les comportements en bout de ligne?

Explorons un cas précis pour se faire une idée de la complexité de la question!

Aidons le Japon? Cas similaire à celui mentionné ci-bas.

On me demande de mettre sur pied une campagne publicitaire qui viendra en aide au sinistrés japonais pour un client qui vend de la nourriture asiatique. Pleins de bonnes intentions, on organise une dégustation qui subventionnera en partie les efforts humanitaires déployés là-bas. La campagne fait effet, les gens participent, on récolte de l’argent et on sensibilise les clients à la cause japonaise! Les asiatiques qui participent à l’événement sont reconnaissants!On fait de la publicité sociale?

Cependant, mes clients me demandent aussi de mentionner que leur stock de nourriture ne sont pas affectés par le séisme et que leurs produits demeurent de la meilleure qualité possible sur le marché! De plus, on insiste pour que le nom de la compagnie soit clairement indiqué dans un slogan du style “We Support Japan”, en s’assurant que les caissières connaissent les principaux faits sur la catastrophe. On fait toujours de la publicité sociale?

Petit exemple très simple pour illustrer que la dialectique socio-commerciale n’est pas blanche ou noire. Évidemment, certains joueurs sont plus subtils que d’autres, et certains autres sont littéralement dévoués! Cependant, de là à dire que la publicité dénature le social, je demeure sceptique. Le social pourrait tout aussi bien dénaturer la publicité.